Dernier jour 7h01

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Reuters, Santa-Maria d'Almogar, aujourd'hui, 06h58. La bombe du Hilton vient d'être revendiquée par la faction ultra violente « Gloire à Gaia » du groupe d'écoguerriers franco-néo-zélandais « Remember Rainbow Warrior ». RRW-GaG s'était fait connaître il y a un an en revendiquant l'incendie de la plateforme d'enfouissement de déchets radioactifs Echo-Mars dans le golf de Gascogne. Le groupuscule aurait depuis perpétré quarante-neuf attentats. Le communiqué revendicatif se termine sur la formule qui leur sert de signature : « Mort aux ignobles traîtres saccageurs. Puisse l'Annonce porter la lumière dans le cœur des justes et leur montrer le chemin du salut de Gaia. »

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Quand on frappa à la porte de la chambre, Paco se garda bien de répondre, du fond de son placard, à la voix qui lui demandait en anglais :

— Tout va bien, Monsieur ?

L'employé de l'hôtel utilisa son passe pour ouvrir la porte et Paco l'entendit entrer dans la chambre, y faire un tour rapide et ressortir en claquant la porte derrière lui.

L'agent, la grosse femme blonde qui s'était occupée de lui depuis la descente d'avion lui avait dit :

— Paco, surtout, surtout, tu n'ouvres à personne d'autre que moi, sauf s'il t'a auparavant appelé sur ce téléphone que je t'ai donné. Et dans ce cas, cette personne doit t'avoir donné un mot de passe, écoute bien ! Le mot de passe est : Miramar.

— J'ai compris, personne, sauf s'il appelle avant et donne le mot de passe.

— Qui est ?

— Miramar.

— Très bien Paco. Je veux que tu comprennes que c'est très important. Ta chambre a été réservée sous un faux nom, personne ne sait que tu es ici. Tout doit paraître comme si la chambre était inoccupée. Ne te montres pas sur le balcon, ni même à la fenêtre. Garde les stores baissés, ne commande rien, surtout pas au room service. Pas d'appel à ta famille. N'utilise pas les fonctions interactives de la télévision, en particulier ne l'utilise pas pour aller sur le réseau.

— Je sais rester anonyme, objecta Paco.

Elle l'avait regardé avec ce doute qu'il avait l'habitude de trouver dans les yeux des adultes quand un enfant de dix ans leur faisait ce type d'affirmation.

— Je sais, admit-elle avant d'ajouter : mais il reste un risque, et je t'assure que tu ne veux pas le prendre. Promets-moi de ne pas faire d'accès.

Paco avait soupiré, sachant qu'il allait s'ennuyer à mourir s'il ne lui restait comme seule distraction que regarder la télévision :

— C'est promis.

Elle ne lui avait pas dit : je t'ai fait mettre dans une aile différente des autres parce que je crois que si une seule personne doit survivre et monter dans cette navette, il faut que ce soit toi. Mais si mon patron savait que j'ai fait cela, il me virerait sans doute sur le champ.

Paco entendit les pas nerveux de l'employé de l'hôtel qui allait frapper à la porte suivante. Il tremblait. Il comprenait maintenant que le risque dont avait parlé la grosse femme blonde avait été tout à fait réel. D'ailleurs, il était maintenant certain qu'elle était morte. Après l'explosion terrifiante qui avait fait vibrer les vitres si fort que Paco se demandait encore comment elles n'étaient pas tombées, Paco était tombé du lit sur lequel il s'était endormi tout habillé devant la télévision. Une alarme s'était mise à sonner, c'était l'alarme d'évacuation, il l'avait lu sur la télévision. Il s'était approché avec prudence de la grande baie qui donnait sur le balcon et il avait entrouvert le store pour découvrir que la vitre blindée était fissurée de bout en bout, seuls les éléments plastiques du composite la faisaient encore tenir. Dans la lueur blafarde de l'aube pluvieuse, il avait vu que, de l'autre côté du jardin, le bâtiment principal de l'hôtel, celui qui avait la vue sur la mer, était en flammes. La partie centrale s'était en partie effondrée et, en fait, Paco apercevait à travers un grand trou les parasols jaunes et blancs sur la plage, repliés et maltraités par le vent, et au fond sous la pluie battante, la mer grise et blanche. En avalant sa salive, il s'était reculé sur la pointe des pieds. Saisissant le gros téléphone archaïque donné par la dame blonde, il s'était caché dans le coin le plus reculé du grand placard.

Il avait ressenti le besoin vif de composer le numéro de sa mère, même s'il savait qu'il allait la réveiller à cause du décalage horaire, mais il était parvenu à se convaincre de ne pas le faire en se souvenant de ce qu'il avait promis. Au lieu de cela, il avait composé le numéro d'urgence indiqué par la grosse femme blonde. À sa grande surprise, une IA avait pris la ligne pour le faire patienter. De longues minutes plus tard, un grand chinois très vieux et très maigre était apparu. Il avait dit à Paco : surtout, ne bouge pas, reste dans la chambre, on va venir te chercher.

Personne n'était venu.

Paco, du fond de son placard, avait entendu les sirènes des ambulances, des hélicoptères qui passaient au ras des toits, et des gens qui couraient dans les couloirs. Alors, Paco avait deviné que la grosse femme blonde avait été tuée par la bombe. Enfin, le téléphone avait vibré dans sa main, et il s'était béni d'avoir eu l'idée d'aller bloquer la sonnerie dans la configuration. C'était une autre femme blonde, beaucoup plus mince, plus jeune, elle avait l'air gentille, mais très décidée et directive.

— Paco, le code est Miramar.

— Oui, c'est le code.

— Je m'appelle Claire, désormais, c'est moi qui vais m'occuper de toi.

— Que dois-je faire ?

— Es-tu toujours dans ta chambre ?

— Oui.

— Alors surtout, ne fait rien. Surtout, ne bouge pas.

— Vous n'allez pas venir me chercher ?

— Si, mais pas maintenant, plus tard.

— Ah ?

— Oui, tu es en sécurité dans cette chambre.

— Vous croyez ?

— Oui, si tu ne bouges pas, si tu ne touches ni au téléphone, ni à l'internet, tu es invisible. Personne ne sait que tu es là. Nous ne connaissons même pas le numéro de ta chambre, et c'est aussi bien.

— Ah ?

Elle avait froncé les sourcils.

— Où es-tu exactement ?

— Je suis dans le placard.

Elle avait souri.

— As-tu assez d'air là dedans ? Tu devrais peut-être sortir de là.

— Je préfère rester.

— Est-ce que tu as de quoi boire et manger ?

— Non.

— Regarde dans le minibar. Il y a un minibar dans ta chambre avec de l'eau et du coca et aussi des chips et des cacahouètes. Je suis sûre que tu aimes le coca et les chips ?

— Oui.

— Ne mange pas tout d'un coup, car on ne viendra te chercher que vers la fin de l'après-midi. D'accord ?

— D'accord. Qui viendra ?

— Moi. Moi, je viendrai te chercher. Je te le promets. Je te préviendrai juste avant.

— Et on ira prendre la navette ?

— Oui, je t'emmènerai dans la navette sur l'astroport d'Almogar, je resterai avec toi.

— Quand est-ce que je pourrai appeler ma maman pour lui dire au revoir ?

— Quand tu seras en sécurité dans la navette, je te promets que tu pourras l'appeler et lui parler aussi longtemps que tu voudras. D'accord ?

— D'accord.

Caché au fond de son placard, Paco se souvint qu'il avait été caché d'une façon similaire pour écouter le conseil de famille quelques jours auparavant. Le conseil avait été réuni après que la grand-mère ait gagné la loterie spéciale. La grand-mère était trop vieille pour partir. Elle était venue voir Paco dans l'après-midi et lui avait dit : c'est toi le plus malin, c'est toi qui ira. Mais l'homme fort de la famille, l'oncle de Paco, n'était pas d'accord. Il voulait envoyer son fils Ramon. Celui-ci était grand et fort, cruel et inculte. Il traitait la mère de Paco, veuve de son oncle, comme une esclave. Paco le détestait. Le père de Ramon soutenait toujours son fils de toute son autorité. Le reste de la famille approuvait ou courbait l'échine. La discussion s'était vite envenimée. Paco, qui malgré son jeune âge était très rationnel, était très sensible à toute la bile versée dans ces joutes inutiles, longues et cruelles. Cette fois-ci, il avait écouté avec attention, car l'idée de quitter la favela pour partir dans l'espace lui semblait une chance ultime. Après en avoir considéré l'éventualité, rien ne semblait pouvoir être plus désirable, même si cela signifiait qu'il allait devoir quitter sa mère à laquelle il était attaché par un amour réciproque intense, renforcé par son statut de fils unique orphelin. Mais ce soir-là, le vent avait tourné en faveur de Ramon. Quand le silence était tombé, Paco avait réalisé la mort dans l'âme que le sort en était joué, que Ramon avait gagné. Alors, la voix de la grand-mère s'était élevée, tremblante, mais assurée, faible, mais inflexible : « Il n'est pas question que je donne mon ticket à ton fils. Ton Ramon est un bon garçon, mais il n'arrive pas à la cheville de Paco en intelligence, malgré la différence d'âge. Il sait à peine lire et compter. Paco, lui, a appris tout seul à lire avant d'aller à l'école, et depuis, il est le premier de sa classe avec deux ans d'avance. À dix ans, il lit, parle et écrit l'anglais. Imagine ce qu'il saura faire quand il aura l'âge de Ramon ? C'est lui qui doit partir. C'est lui qui mérite de défendre les chances de cette famille dans l'espace. Lui sera capable de se rendre utile. Ton Ramon ne serait là-bas qu'un idiot de touriste. L'affaire est réglée, Paco ira. J'ai encore toute ma tête, et tant pis si ce doit être la derrière action bénéfique et à peu près intelligente que je ferai avant de quitter moi-même cette Terre. Je ne changerai pas d'avis. » Ensuite, un jour et une nuit durant, la grand-mère avait secondé la mère de Paco, pour veiller sur lui et éviter que Ramon ne vienne sournoisement lui casser un bras ou une jambe, jusqu'à l'arrivée des agents mandatés par l'ASI qui l'avaient emmené à l'avion. Première fois et première classe, par la filière VIP, comme dans un film américain. Mais personne ne lui avait dit qu'on essaierait de le tuer.